Éditions John Doe

Le jeu de rôle est mort,
mais personne n'est venu réclamer le corps

Courrier des Légistes n°9

Derriere la porte du frigo

15 février 2015

Édito

Ame­ri­ca­na, le jeu-cam­pagne d’Y­no, est en ce moment même en pleine pro­duc­tion, pour une arri­vée très pro­chaine dans vos bou­tiques. C’est un bou­quin qui nous paraît faire par­ti de ceux qui comptent, qui res­tent. Nous sommes sûrs que d’A­me­ri­ca­na, dans quelques années, on se dira entre rôlistes » Et toi, tu l’as joué ?». C’est une véri­table fier­té qu’Y­no nous ait fait confiance pour concré­ti­ser ce pro­jet qui lui tenait énor­mé­ment à coeur.

Aus­si, nous avons deman­dé à Yno de nous, de vous, écrire un petit mot. Carte blanche. Juste après une petite des­crip­tion fac­tuelle du bou­quin que vous pour­rez pro­chai­ne­ment feuille­ter, et sur­tout jouer, il a choi­si dans ce Mot de l’Au­teur de vous par­ler du pro­ces­sus de créa­tion d’Americana.

Americana : le mot de l’Auteur

« Dans les grandes villes de notre monde, un mal insi­dieux frap­pé cer­tains de nos conci­toyens, vic­times d’un délire psy­cho­tique dénom­mé « syn­drome de Baby­lone » par les spé­cia­listes. Du jour au len­de­main, des per­sonnes n’ayant pas de pas­sé psy­chia­trique deviennent obsé­dées par des sym­boles éso­té­riques, s’identifient à des divi­ni­tés païennes et se pré­tendent inves­ties d’une mis­sion de per­pé­tua­tion de rîtes. Bien que rare, ce type de cas est diag­nos­ti­qué de plus en plus régu­liè­re­ment. » The Wings

Ame­ri­ca­na est un Burst : un jeu de rôle-cam­pagne. C’est une cam­pagne indé­pen­dante munie de règles dédiées.

Ame­ri­ca­na est un thril­ler fan­tas­tique, oni­rique et éso­té­rique. C’est une série de six scé­na­rios aux ambiances tor­dues et sombres pre­nant place dans une Amé­rique étrange aux atours cau­che­mar­desques. C’est une épo­pée tra­gique for­mant une grande his­toire avec un début, un milieu et… une fin. 

Ame­ri­ca­na com­pile l’in­té­gra­li­té des quatre scé­na­rios du « syn­drome de Baby­lone » dans des ver­sions retra­vaillées, aug­men­tées et moder­ni­sées, avec deux scé­na­rios sup­plé­men­taires ain­si qu’une série de conclu­sions pour accom­pa­gner les choix des per­son­nages et clô­tu­rer défi­ni­ti­ve­ment l’histoire.

Ame­ri­ca­na est pré­vu pour

• 4 à 6 joueurs (meneur inclus).

• des séances de jeu de 4 à 10 heures.

• être joué avec des dés à six faces.

• des rôlistes confir­més (joueurs matures et meneur expérimenté)

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Où en est-on ?

Un an après avoir ren­du mon texte à l’éditeur pour relec­ture, je peux le dire avec un mini­mum de recul :

Je n’écrirai plus jamais un Burst de cette ampleur.

Le « syn­drome de Baby­lone » est le pro­jet qui m’aura pris le plus de temps à écrire. Pas seule­ment parce qu’il a débu­té en 2002 pour connaître une période d’hibernation où je m’étais per­sua­dé qu’il res­te­rait défi­ni­ti­ve­ment ain­si, mais parce que lorsque j’ai déci­dé de m’y remettre, de voir s’il était pos­sible de le reprendre scé­na­rio après scé­na­rio, il m’a fal­lu un temps fou (trois ans ?) pour le tra­vailler, le déve­lop­per, l’améliorer, l’affiner et le conclure.

À ce jour, c’était l’unique pro­jet que j’ai com­men­cé sans le ter­mi­ner. Le genre de pro­jet qui vous revient régu­liè­re­ment en tête, en « tâche de fond », qui vous excite autant qu’il vous frustre. Parce que les idées sont là, dans votre tête, mais vous né pou­vez pas les par­ta­ger en l’état. Et, for­cé­ment, dans ma tête, c’est génial, y’a des effets spé­ciaux de dingue, des des­ti­nées de per­son­nages qui brisent le cœur, des petites tra­gé­dies qui filent des fris­sons, de belles tra­jec­toires pour cer­tains per­son­nages, des moments intenses à fleur de peau, un micro­cosme qui vit, évo­lue, gran­dit et chute ; y’a même des mor­ceaux de musique déjà par­fai­te­ment calés pour les mettre en valeur… Bref, c’est génial, mais tant que ce n’est pas tan­gible, c’est rien du tout. En tout cas, ça né vaut pas mieux que le pire truc sorti.

Alors oui, ça tient à cœur, y’a l’envie, mais y’a sur­tout la Vraie Vie. Celle qui né per­met pas de pas­ser dix heures à essayer de démê­ler une intrigue d’un per­so secon­daire pour l’amener à la fin visua­li­sée sans que ça devienne pour autant un roman ou une suite de scènes linéaires. Parce que c’est aus­si un jeu. Et que c’était l’une des fai­blesses des scé­na­rios ori­gi­naux, très roman­cés, avec des des­crip­tions pas­sant exclu­si­ve­ment par le dia­logue par­fois. Le pro­jet était donc élec­tri­sant mais chro­no­phage en diable pour le passionné/maniaque/obsessionnel que je suis. Il était sur­tout impos­sible à déve­lop­per sans avoir du temps de cer­veau dis­po­nible pour de longues plages de réflexion. Le fameux temps que la Vraie Vie né per­met pas vraiment.

Ain­si, après avoir retra­vaillé le pre­mier scé­na­rio et m’être aper­çu que c’était fai­sable, que je par­ve­nais à me remettre dans les intrigues, à sup­pri­mer des bouts un peu vieillots, à faire le tri, à réécrire des mor­ceaux de scé­na­rio pour les « dé-linéa­ri­ser » (sans pour autant les trans­for­mer ou en faire la révo­lu­tion, enten­dons-nous bien), je me suis jeté dans le vide, j’ai arrê­té de bos­ser dans la Vraie Vie pen­dant prêt d’un an pour écrire ça. Ce truc de mon cer­veau, ce bor­del démen­tiel et mons­trueux (pour les éven­tuels cher­cheurs-de-petites-bêtes du fond, sachez que je suis gra­phiste free-lance, je n’ai donc pas écrit Ame­ri­ca­na en tou­chant un inexis­tant chô­mage, je me suis per­mis « ce luxe » avec mes quelques éco­no­mies). D’ailleurs, c’est une cer­ti­tude aujourd’hui : je n’aurais pas fait cette folie, à l’heure qu’il est le syn­drome de Baby­lone serait res­té à l’état de 2003. Bien vu ou non, c’est en tout cas un exemple concret confir­mant mon assertion :

Je n’écrirai plus jamais un Burst de cette ampleur.

Écrire et déve­lop­per un pro­jet aus­si lon­gue­ment est un acte déraisonné. 

Il est évident que le résul­tat final né vau­dra jamais le temps infi­ni pas­sé des­sus, les cen­taines de jour­nées à le tra­vailler, à modi­fier les noms des per­son­nages pour qu’ils sonnent bien, à faire évo­luer leur ortho­graphe même pour qu’ils aient meilleures allures, à les faire chan­ger de pro­fes­sion pour que ça fasse sens, à les esquis­ser en quelques mots pré­cis, à cher­cher de la musique pour éta­blir des liens entre eux. Ça né vau­dra jamais les moments de stress, de ten­sion ner­veuse, parce que je n’arrive pas à solu­tion­ner une expli­ca­tion, à trou­ver un lien que je vou­lais pour­tant en fili­grane. Ça né vau­dra jamais les mil­liers d’heures à tes­ter chaque option dans ma tête, à che­mi­ner 10 fois, 100 fois, sur cer­tains pas­sages pour m’assurer de leurs effi­ca­ci­tés en terme de jeu et de leurs inten­si­tés d’un point de vue « émo­tion­nel ». Beau­coup de détails, de non-dits, de double sens esquis­sés né seront pas com­pris ni même vus. Par contre, même si ça né sera jamais aus­si génial que ce que j’avais en tête, je me suis don­né les moyens de m’en appro­cher au plus près, de rendre concret ce qui n’était que des pen­sées et de le faire à fond, en le mûris­sant et en repous­sant mes limites.

Ame­ri­ca­na : l’intégrale du syn­drome de Baby­lone est un gros Burst, un jeu com­po­sé uni­que­ment de scé­na­rios. Or écrire des scé­na­rios de jeu de rôle est aus­si ingrat qu’excitant. Ingrat parce que c’est typi­que­ment un élé­ment de ce médium qui est éva­lué de manière tota­le­ment dif­fé­rente selon les lec­teurs, meneurs et joueurs. Parce que ce que moi je trouve génial et bien dosé peut être taxé d’hyper linéaire et détaillé par un et beau­coup trop « ouvert » ou flou pour un autre. J’en suis bien conscient, j’y pense constam­ment quand je galère à écrire, que je déses­père d’arriver au bout et pour­tant, c’est « le cœur » pour moi. Ce qui fait que je m’immerge, que je rentre dedans, que je joue et que je mène : l’histoire, la grande et les petites, les per­son­nages ren­con­trés, les ambiances tra­vaillées, les déve­lop­pe­ments inat­ten­dus qui me prennent aux tripes et me font rêver et les petites ori­gi­na­li­tés qui viennent réveiller les vieux bla­sés. Tout le monde né sera pas d’accord, cha­cun à son avis sur le sujet, mais c’est en tout cas ce qui me fait vibrer, écrire et jouer. Moi qui suis habi­tué à écrire « court », à l’économie, c’est au final un bébé rela­ti­ve­ment volu­mi­neux. C’est deux fois le texte de Patient 13, trois fois celui de Notre tom­beau… et ce n’est pour­tant « que six scénarios » !

Alors, oui, les six heures que vous met­trez à le lire né vau­dront jamais les douze ans que j’ai pas­sé à mûrir ce pro­jet mais j’ai la pré­ten­tion de croire que les plus moti­vés – ceux qui iront au bout comme moi y suis allé – vivront un truc qu’on né vit pas sou­vent autour d’une table : une his­toire intense, la chro­nique de vies (et d’âmes) sur la durée, une saga sans sta­tu quo où des per­son­nages forts évo­luent régu­liè­re­ment, dans des intrigues aux tona­li­tés variées. Tiens, d’ailleurs, der­nière petite chose avant d’en finir : résu­mer uni­que­ment ce Burst à un jeu d’horreur serait une erreur. Si l’horreur est une des com­po­santes de ce jeu-cam­pagne, c’est loin d’être le seul ingré­dient. L’onirisme y est impor­tant, le côté épique aus­si (une his­toire aux enjeux ambi­tieux se dérou­lant sur une petite année) et ce, avec quelques moments déca­lés, contras­tant avec les moments plus sombres et violents.

Je n’écrirai plus jamais un Burst de cette ampleur mais ça fait du bien, par­fois, de mettre la rai­son de côté pour aller jusqu’au bout des choses. Et rien que pour ça, je suis heu­reux d’avoir pu le faire.

Antho­ny « Yno » Combrexelle

Le tiroir du bas

Aujourd’­hui, à toutes les Voix-Off en man­qué de vache­ries à faire à leurs tough guys et qui attendent déses­pé­ré­ment la cam­pagne qui jamais né vient sans tou­te­fois jeter au feu le jeu, Samuel Met­ze­ner vous fait un beau cadeau. « Mix d’En­fer » est un gros scé­na­rio bien touf­fu pour Hel­ly­wood, illus­tré et mis en page. C’est du très bon tra­vail qu’il serait dom­mage de lou­per. Samuel a publié ce scé­na­rio sur son blog a cette adresse