Je reviens un peu sur les problèmes de paiement des soldes et de fief. J’ai essayé d’écrire brièvement l’histoire d’une petite famille de samouraï pour illustrer le type de dynamique à l’oeuvre et le rapport entre terre/argent/vassalité. ça peut d’ailleurs servir de background pour la famille d’un pj ou d’un méchant. J’ai inventé les sommes, je n’ai pas cherché à trouver des chiffres réels.
Au lendemain de la fondation du shôgunat Ashikaga, les alliés de cette famille reçoivent des postes de gouverneur (shugô). Les Shiba reçoivent ainsi diverses provinces, dont Owari. Ils s’y installent avec leurs guerriers. Comme ils reçoivent plus d’une province, ils nomment un représentant (shugôdai) dans chaque : en Owari, ce sont les Oda. Parmi les guerriers subalternes, on trouve les Kuromatsu. Le chef de famille reçoit, en récompense de ses services, la charge de lever sur un domaine appartenant à un temple de Kyôtô les taxes militaires crées par le shôgunat. Pour cela, il reçoit un salaire (pris sur les taxes qu’il lève) de 2 kan. Parallèlement, le temple, qui désire s’attirer les bonnes grâces du guerrier local, le charge d’organiser le festival religieux annuel du domaine. Dans la pratique, Kuromatsu n’a rien à faire, mais reçoit de l’intendant du domaine (shoshu) un salaire d’1 kan. Ultérieurement, par exemple suite à une alliance matrimoniale avec la famille des shoshu, le chef des Kuromatsu devient lui-même intendant du domaine, avec un salaire de 2 kan. Il en est à 5 kan de revenus divers, en dehors de toute possession de terres, même si évidemment il peut utiliser son argent pour en acquérir. Vient enfin la guerre d’Ônin, le pays plonge dans le chaos, l’autorité des Shiba s’effondre. A qui le temple va-t-il se plaindre si son intendant garde toute la production du domaine, d’ailleurs avec l’excuse que les routes ne sont pas sûres ? Kuromatsu jouit maintenant des 20 kan de revenus du domaine. Par ailleurs, comme les Shiba ne sont plus en mesure de le contrôler, il garde aussi les 10 kan de taxes militaires. Il perçoit donc 30 kan. Bien entendu tout cela est illégal : il utilise sa richesse pour armer une dizaine de gars solides et vit retranché dans son manoir. Malheureusement, les paysans du domaine pensent que puisque rien n’est versé au propriétaire légitime, il n’y a aucune raison qu’ils payent. Kuromatsu est menacé d’une révolte et n’a pas les moyens militaires de vaincre. Il part donc au château voisin, où vit Shibata Katsuie, principal vassal des Oda. Il lui propose d’entrer dans sa dépendance avec ses hommes contre un appui face aux paysans. Shibata lui donne un document cautionnant l’autorité de son nouveau vassal sur le domaine. Il n’a aucune autorité pour le faire, mais si les paysans mouftent, ils auront à faire à lui et non plus seulement à Kuromatsu. Tout se calme. Kuromatsu rentre dans son manoir pour y jouir de ses 30 kan de rentes et Shibata a gagné 11 guerriers sans dépenser un grain de riz, juste en écrivant un acte cautionné par sa seule force militaire. Dans les années 1570, Shibata reçoit la charge de la province nouvellement conquise d’Echizen. Il s’y déplace avec toute sa suite militaire. Les Kuromatsu arrivent donc dans une province nouvelle, largement insoumise. Ils vivent donc au château de leur seigneur. Comme ils sont loin de leur domaine, ils éprouvent des difficultés de plus en plus grandes à y percevoir leurs revenus et à les amener au nord. A terme donc, ils échangent leurs droits en Owari contre l’équivalent en Echizen. Toutefois, comme la province n’est pas sûre, Shibata organise un prélèvement collectif et on partage ensuite : de fait, les Kuromatsu reçoivent toujours 30 kan, mais ceux-ci sont pour eux « anonymes » détachés d’une zone géographique et d’une communauté paysanne précise. De fait ils sont devenus des guerriers salariés résidant dans le château du seigneur.